Discours de Pavel Fischer, sénateur, République Tchèque, à la rencontre de Amis d’Ensemble pour l’Europe, Prague 16/11/2018 – « LES TROIS DÉFIS »
Chers amis,
Vous vous êtes réunis à Prague pour travailler ensemble et chercher comment vivre et vous engager « Ensemble » pour l’Europe. En quel pays êtes-vous venus ? Et en quel état se trouve aujourd’hui l’Europe, cent ans après la fin de la première guerre mondiale ? Vous arrivez en République Tchèque, dans un pays qui a proclamé la république il y a cent ans.
Au cours des célébrations de cet anniversaire, les idées exprimées par le président de la Cour constitutionnelle ont retenu mon attention. Cette Cour est l’institution qui a pour tâche d’assurer que, dans le pays, les règles les plus élémentaires soient observées. Son président, Pavel Rychetsky, a tenté un diagnostic de l’état de la société actuelle. Permettez-moi de paraphraser librement sa thèse de base. A son avis, la mondialisation a fait grandir le sentiment de solitude et de désespoir des personnes. Elles sentent qu’elles sont en train de se perdre dans un monde globalisé. Les contours de leur identité se dissolvent et elles sont gagnées par la peur. La peur est devenue un terrain fertile pour ceux qui ont le visage d’un ennemi et cet ennemi peut être un voisin plus riche, un immigré, une personne d’une autre couleur. Chez nous, parfois, le coupable désigné est même carrément l’Union Européenne.
Dans leur désespoir, les gens cherchent maintenant le changement et surtout un messie, parce que la représentation politique traditionnelle ne les représente plus efficacement. Est-il encore possible de mettre fin à ce développement toxique ? Comment corriger un système de valeurs distordu ? Le président de la Cour constitutionnelle place son espoir dans un degré plus élevé d’émancipation de la société civile, qui réveille la confiance en soi et rétablisse le principe de souveraineté du citoyen. Un citoyen qui sache s’affirmer parce que la représentation politique doit servir le bien commun ou bien disparaitre. Je relis les mots clefs utilisés dans son discours : solitude, désespoir, identité, peur, ennemi, bien commun, confiance en soi, citoyen souverain.
Dans chacun de ces mots, nous pouvons trouver une dimension spirituelle, vue à la lumière du meilleur héritage de la pensée européenne, fondée sur la sagesse des savants juifs, des mystiques chrétiens et des penseurs rationnels. Cette dimension spirituelle pourrait les éclairer d’une lumière différente. Le diagnostic de la société actuelle, vu ainsi, a une grande valeur de communication, mais je crois que nous pouvons aussi voir tous ces phénomènes à la lumière de l’espérance, et je crois que nous aussi, nous pouvons essayer de faire quelque chose.
Par où commencer ? Que faire en premier et que laisser ? Prêtons brièvement attention aux trois défis que nous voyons dans l’Europe d’aujourd’hui.
Premier défi : émotions
L’homme est fait pour éprouver des émotions. Pas seulement individuellement, mais dans sa vie avec les autres. Donc, même si nous pouvons nous redire ensemble qu’une personne est une créature raisonnable et rationnelle, nous constaterons finalement, au vu d’un certain nombre d’exemples, que nous nous comportons souvent de façon non rationnelle. Et c’est bien comme cela.
Pour comprendre quelques situations de la politique européenne, nous devons admettre que les émotions sont déterminantes. Rappelons-nous la lutte menée pour résoudre la crise de la zone euro, manifestée dans l’effort pour faire le budget de la Grèce qui se trouvait dans une condition économiquement critique. Partant du fait que l’homme n’est pas seulement un homo economicus, pas seulement un consommateur ou un acteur du marché, mais aussi un citoyen doté de sa dignité et de sa liberté propres, la lutte menée durant la crise grecque a été très significative.
Tandis que les citoyens devaient se serrer la ceinture et ne pouvaient se permettre de gaspiller un euro, quelques établissements bancaires ont réussi durant la crise à assurer relativement bien leurs bénéfices. Tandis que Bruxelles prenait des mesures d’austérité, les Grecs en ont été particulièrement blessés. Les émotions se sont déchainées, l’insatisfaction s’est révoltée contre le gouvernement, contre la Commission européenne ou contre les banquiers. Et aussi, par exemple, contre l’Allemagne et même contre la chancelière Angela Merkel elle-même.
Cette atmosphère émotionnelle a été principalement vécue par les Grecs entre eux. Linguistiquement, elle était inaccessible aux autres. Culturellement, elle était fondée sur leur histoire, sur des images historiques, et les autres Européens n’avaient pas les clefs de lecture, ni pour sympathiser avec les Grecs, ni pour essayer de les comprendre et de les aider. Nous aurions peut-être pu proposer aux enfants grecs de venir en vacances chez nous et permettre ainsi à leurs parents de se reposer un peu, tout en créant des liens qui auraient eu du sens pour l’avenir.
De la même manière, nous pourrions évoquer les émotions vécues par les citoyens des autres États membres de l’Union européenne en leur temps. Comme si nos luttes politiques et sociales restaient enfermées dans la sphère de notre langue maternelle. Il y a un manque de moyens forts de communication, un manque de médiateurs, et nous restons un peu trop seuls avec nos émotions. Je suis sûr que même le meilleur journaliste, le diplomate le plus ambitieux, le politique le plus intéressant, ne réussissent pas facilement à transmettre les souffrances, les peurs, comme les espoirs et les attentes que vivent nos communautés linguistiques. En fait, il est vrai que si nous avons une langue commune, nous pouvons nous comprendre plus rapidement.
Lorsque j’étais plus jeune, je jouais du violon et j’ai voyagé pendant plusieurs années en Europe avec un orchestre. J’ai toujours présente à l’esprit cette expérience de musicien. Aujourd’hui encore, je dois admettre qu’un musicien peut être un meilleur médiateur entre nos peuples que ne pourrait l’être le meilleur discours politique. Car l’art travaille avec les émotions : avec les images et les expressions, pour lesquelles souvent, nous n’avons pas de mots.
Ainsi, notre époque n’a pas seulement besoin des nouvelles institutions, mais aussi des artistes qui nous transmettent, bien sûr, ce qui est seulement « suspendu dans les airs », mais aussi ce qui écrase les personnes et les préoccupe. L’artiste peut échapper au piège des traducteurs. L’artiste peut travailler avec ce qu’aurait effacé la censure, qui tient sous contrôle les paroles politiquement correctes. En regardant les tristes fruits de la grande crise qui a commencé dans les banques des États-Unis en 2008, nous voyons combien de fois des sommes ont dû être supprimées des budgets des institutions culturelles.
Mais si notre époque est aussi émotionnellement en colère, il est peut-être nécessaire de faire maintenant machine arrière : de restituer l’espace public à l’art ; d’aider le public à parler avec les artistes, parce que ceux-ci aident les personnes à comprendre ce que l’on est en train de vivre. Il faut aussi donner aux enfants des clefs pour comprendre l’art. Autrement, nous restons tous un peu trop isolés avec nos émotions. Et ce sera la même atmosphère dans toutes les nations.
Second défi : citoyen ou consommateur
Tôt ou tard, il nous faut nous demander comment nous comprenons l’homme : est-ce que nous le considérons comme acteur de l’économie, comme participant au marché, comme consommateur ou comme citoyen.
Dès le départ, la coopération européenne a mis l’accent sur la coopération en économie et c’était certainement la chose la plus efficace et la plus raisonnable à faire, ayant à ce moment-là contribué à mettre en place des processus coopératifs sans avoir à discuter de certaines choses ou les laisser voter en référendum. La méthode du fondateur de l’intégration européenne était fondée sur l’expérience. Le Français Jean Monet, qui a travaillé à Londres pendant la guerre, a vu de ses yeux l’incapacité des alliés à coordonner l’approvisionnement de leurs troupes.
L’emphase sur l’économie peut être observée non seulement à l’intérieur de l’Union Européenne aujourd’hui, mais aussi dans nos pays. Nous devons encore nous demander comment nous percevons effectivement la personne humaine. Si nous la comprenons comme consommateur, notre objectif sera de parvenir à la meilleure qualité à un prix accessible. Mais nous pouvons comprendre l’être humain d’une autre manière. Nous pouvons le voir comme un être doté de dignité, comme un être libre, une personne avec une responsabilité individuelle qui a besoin de créer des relations avec les autres.
Un homme libre et indépendant, mais qui vivrait seul, ne peut être notre idéal. D’autre part, la solitude est un des phénomènes actuels qui affaiblit énormément notre société. Solitude signifie pauvreté des relations. Elle constitue un risque. Si l’homme reste seul, il peut aussi être victime de quantité de prédateurs, soit du point de vue de l’information et de la désinformation qui sont diffusées, soit de prédateurs économiques qui lui vendent quelque chose dont il n’a pas besoin. Sans la solidarité, sans l’expérience de communauté, sans une communauté, on ne peut pas être heureux. Au niveau de la société, nous pouvons constater que seule une société capable de vivre ensemble peut s’engager dans le dialogue, chercher ensemble des solutions aux problèmes et, au niveau local, créer des relations d’aide, de solidarité et de réciprocité. Une telle société devient ainsi plus résistante. Si des menaces surviennent, les personnes peuvent s’entraider, trouver leur place et porter assistance à ceux qui en ont le plus besoin.
Ne nous faisons donc pas d’illusions. Nous nous trouvons maintes fois face à cette situation complexe, pas seulement lors des élections. L’économie est de la plus haute importance pour la gestion de nos pays. Sans macroéconomistes raisonnables et responsables, nous ne construirons pas le budget de l’État. Mais cherchons aussi comment ceux qui prennent les décisions comprennent la personne. Ils peuvent la considérer comme un consommateur, donc « jetable » jusqu’aux prochaines élections. Ils peuvent au contraire l’accepter comme un associé, un compagnon d’équipe, un citoyen. C’est ce type de politiciens que nous devons valoriser et à qui nous devons accorder notre confiance.
Troisième défi : communauté ou foule
Le troisième défi qui se présente aujourd’hui dans nos sociétés est l’expansion des réseaux sociaux [continue…]
Intervention de Jaroslav Šebek, Historien, République tchèque, à la rencontre de Amis d’Ensemble pour l’Europe, Prague 16/11/2018 – “Les chrétiens de la République tchèque et les défis de l’actuelle période agitée”
Les événements de novembre 1989 et l’effondrement du régime totalitaire communiste en Tchécoslovaquie, après plus de quarante ans, ont ouvert un vaste champ d’action pour le travail de l’Église et des chrétiens en général, apportant non seulement de grands changements positifs et de nouvelles opportunités, mais aussi des problèmes et des défis y correspondants. Les églises chrétiennes sont entrées dans la nouvelle constellation politique après «l’année miraculeuse» de 1989, avec un grand crédit moral. L’évaluation positive était basée sur le rôle joué par les églises chrétiennes à l’époque du régime communiste, alors qu’elles étaient fortement frappées par une grande persécution et constituaient en revanche une alternative compréhensible à l’idéologie marxiste dominante.
En plus, ce qui peut être qualifié de grand succès après 1989 est certainement le développement de contacts œcuméniques. Par exemple, la division des églises par rapport à Johann Hus a été surmontée, dont l’héritage a été évalué objectivement par des représentants d’églises et des experts confessionnels et laïques lors d’un symposium tenu à Rome en 1999. Lors de ce symposium, le pape Jean-Paul II (1920-2005) avait demandé pardon pour les souffrances du réformateur Hus, condamné et incendié lors du concile de Constance en 1415, ainsi que de ses disciples. Littéralement, le pape a alors déclaré: “Aujourd’hui, au seuil de l’année du grand jubilé, je me sens obligé d’exprimer mon profond regret pour la mort cruelle de M. Johannes Hus et pour la blessure qui en a résulté, source de conflits et de divisions, et qui a déchiré l’esprit et le cœur du peuple bohémien”.
Des aspects œcuméniques de la réflexion et d’une ultérieure exploration de la signification de Maître Jan Hus et de son héritage pour les chrétiens tchèques se reflétaient aussi dans la déclaration commune de l’archevêque de Prague, le cardinal Miloslav Vlk (1932-2017) et l’Aîné synodal de l’Église évangélique des Frères de Bohême, Pavel Smetana (1937-2018), au début du janvier 2000. Jan Hus pour les chrétiens tchèques à partir de janvier 2000. La conférence romaine a contribué à une autre découverte de points de vue communs sur l’importance de la personne de Hus et sur l’approche à travers les frontières confessionnelles, ce qui a également permis une préparation coordonnée du six centenaire anniversaire du jour de la mort de Jan Hus en 2015.
Au cours de la période relativement courte de quelques décennies, les points de vue de la signification de Jan Hus ont changé, une grande partie a perdu de son potentiel conflictuel et de son intransigeance. La commémoration œcuménique de l’héritage de Maître Jan Hus, le 15 juin 2015 au Vatican, a confirmé récemment cette tendance. La rencontre avec le pape François fut sans doute son fait saillant. Outre le cardinal Miloslav Vlk et d’autres, les plus hauts représentants des deux églises non catholiques comptant le plus grand nombre de membres y ont participé : l’Aîné synodal de l’Église évangélique des Frères de Bohême, Joel Ruml (1953), et le patriarche de l’église hussite tchécoslovaque, Tomáš Butta (1958). Dans son discours à la délégation tchèque, le pape a déclaré que bon nombre des dissensions du passé doivent être réévalués à la lumière du nouveau contexte dans lequel nous vivons. À la lumière de cette approche, il est également nécessaire d’étudier, sans idée idéologiquement préconçue et sans préjugés, la personne et l’activité de Jan Hus, qui a été longtemps un sujet controversé parmi les chrétiens et qui est devenu aujourd’hui un motif de dialogue. L’accent de François était aussi significatif dans le sens qu’il soulignait la nécessité d’une coopération lors de la réunion et qu’il exprimait également un engagement essentiel envers les églises non catholiques.
Dans le domaine ecclésiastique, toutefois, après le changement politique, les grandes espaces de conflit ont également émergé. Peu de temps après la révolution, cependant, les images réapparaissaient qui présentent le catholicisme en tant qu’ennemi du progrès et du patriotisme, des images conservées dans la mémoire collective tchèque à travers les œuvres de la littérature national-libérale du XIXe siècle, et qui, ensuite, ont été nourris bien sûr, par la propagande communiste de la Première République. Et ainsi, pas à pas, l’autorité de l’Église catholique au sein du public tchèque a rapidement décliné, ce qui est encore un trait caractéristique de nos jours. La relation de la société avec l’Église catholique est sans doute l’un des aspects les plus marquants entre la République tchèque et les pays postcommunistes d’Europe centrale, notamment la Pologne et l’Hongrie. Cependant, certaines tendances de développement sont communes. Les États et les sociétés de l’ancien bloc de l’Est sont, en effet, confrontés à des problèmes similaires ainsi qu’à des exigences concernant la transition vers des systèmes d’ordre non autoritaires, à savoir aux effets économiques de leur transformation, à la construction d’une nouvelle culture politique et généralement à la création d’un espace de discours démocratique.
Une caractéristique commune des États postcommunistes d’Europe centrale est aussi la l’attractivité décroissante de l’adhésion à l’Union européenne. Après 1989, après la chute du rideau de fer, la majorité du public de l’ancien bloc socialiste, donc y compris nous-mêmes, a appelé spontanément à un “retour à l’Europe”. La raison tentante était le rêve de la prospérité de l’Occident, du même niveau de vie que nous pouvions aussi voir derrière nos frontières. Cependant, la crise des réfugiés a apporté une pierre de touche fondamentale pour l’avenir de l’intégration européenne, dans laquelle différents concepts s’affrontent et symbolisent une fois encore la position de l’Est contre l’Ouest. La crise des réfugiés implique non seulement des risques croissants pour l’économie et la sécurité, mais ouvre la porte à la défense des valeurs chrétiennes, en particulier dans l’Est post-communiste.
Le cas tchèque est particulièrement intéressant à présent, car même dans un pays aussi fortement sécularisé, on a commencé à parler de racines chrétiennes, mais surtout sous une forme idéologisée. Les partisans de l’opinion selon laquelle les valeurs chrétiennes et européennes doivent être promulguées et diffusées ne savent cependant pas et ne définissent même pas quelles valeurs ils ont en tête. La foi en République tchèque s’est affaiblie et, donc, sous la rubrique du soutien au christianisme, nous trouvons plutôt une idéologie motivée par la peur de l’influence de l’islam et d’autres cultures. Les partisans de l’opinion selon laquelle les valeurs chrétiennes et européennes doivent être annoncées et diffusées ne savent cependant pas et ne définissent même pas quelles valeurs ils ont en tête. Pour les points de vue des cercles religieux vis-à-vis des réfugiés, il est typique de balancer entre la solidarité et la crainte déclarée des effets culturels. L’une des causes les plus générales des phénomènes de crise est l’absence de visions idéalistes claires. L’Union européenne d’aujourd’hui ne s’appuie plus tant sur le pouvoir de persuasion des idées que sur des solutions purement technocratiques. Cependant, la faible autorité de l’Union européenne est souvent associée, à juste titre, au manque de crédibilité de ses dirigeants et à leur incapacité à fournir une réflexion conceptuelle forte sur les problèmes. Cependant, il existe d’autres défis dans la société tchèque, que je qualifierais aussi de réponses chrétiennes aux signes des temps.
Au cours de la dernière génération, « la colère liquide » de la part du public et l’aversion contre les élites sociales ont reçu un nouveau moyen : les réseaux sociaux sur l’internet. Là, les personnes frustrées et contrariées peuvent crier anonymement leur méchanceté et s’encourager mutuellement dans leur vision du monde négative. Dans ces eaux troubles, non seulement les populistes tchèques cherchent leurs partisans et leur grand moment est devenu la crise de l’immigration de ces dernières années. Les populistes ont réussi très souvent de transformer les craintes compréhensibles dans une hystérie de la peur et de la haine et de se présenter comme des sauveurs. L’un des problèmes aujourd’hui est le l’encapsulation de la communication par les possibilités de réseaux sociaux, ce qui en fait produit des bulles de communications filtrées, qui ne communiquent pas entre elles, des communautés, qui partagent également une vue insensée ou conspirationniste du monde et qui se laissent facilement manipuler par une propagande présentée comme vérité. Alors que, dans l’ère communiste, il existait un désert informationnel chez nous, aujourd’hui nous nous trouvons dans une jungle informationnelle. Le résultat est toutefois identique : perte d’orientation, plus grande susceptibilité à la manipulation et méfiance à l’égard de tout et tout le monde. Les gens se réunissent également en petites communautés avec la même vision du monde partagée, mais ils ne communiquent pas avec les autres groupes et vivent, dit en termes exagérés, dans des mondes parallèles.
Dans la situation actuelle où nous assistons à un effondrement accéléré des sécurités existantes, des relations interpersonnelles, à une fermeture des “ghettos de communication” à travers les nouvelles technologies, accompagnés d’un sentiment d’anxiété croissante et d’un ton plus agressif des discussions, qui, ensuite, sont le catalyseur d’autres opinions divergentes au sein de la société, dans cette situation, il est presque existentiellement nécessaire de rechercher des intérêts communs que les membres articuleraient ensemble, mais en mettant l’accent sur le contexte paneuropéen. Ce fait est important justement aujourd’hui, quand il semble que tout le projet d’intégration européenne et de la création de modèles normatifs de valeurs partagées (est en jeu). Surtout, les effets de la migration et de la crise culturelle qui en découle, ensuite mènent au succès de divers mouvements populistes nationaux, dans la majorité du «vieux continent».
Je soupçonne que le pouvoir du populisme est lié au manque de foi dans notre société. Par foi, cependant, j’entends quelque chose de beaucoup plus profond que d’accepter des dogmes ou d’assister à des services religieux. Je considère la foi comme une orientation de vie. La foi vivante est une thérapie contre la peur. Là où il y a peu de foi, il y a beaucoup de crainte, et où il y a beaucoup de crainte, il y a beaucoup d’aveuglement et d’agression spirituels, là ce sont les démagogues qui vainquent, qui potentialisent cette peur, qui abusent de l’aveuglement et cherchent pour le déchargement de la “colère liquide” des objectifs appropriés – jadis c’étaient les Juifs, les Allemands, puis, sous le régime communiste, les paysans et les commerçants, aujourd’hui ce sont les réfugiés et les musulmans – et quand le populiste a attisé suffisamment la peur et le sentiment de menace, il s’offre comme un sauveur. C’est pourquoi il est intéressant de voir combien l’Église catholique elle-même et ses représentants ont du mal à chercher une orientation dans notre société tchèque divisée. Les représentants des églises sont également incapables de dire un mot clair sur notre adhésion à l’UE. Surtout, ils critiquent les soi-disant tendances néo-marxistes dans le domaine du genre et le manque de forme culturelle de l’Europe. C’est pourquoi certains évêques rejoignent ces hommes politiques qui, comme je l’ai dit, professent verbalement les valeurs chrétiennes, mais ne les utilisent en réalité que dans le cadre de leurs dotations idéologiques, de sorte que le christianisme ne soit utilisé que comme une idéologie et non comme un élément de l”identité spirituelle. C’est là que de nombreux dignitaires ecclésiastiques de la République tchèque se distinguent du pape François et divisent ainsi les vues des fidèles dans l’évaluation du dirigeant actuel. Par rapport à ses prédécesseurs, François représente un tournant dans le fait que ses paroles sont crédibles et un signe de son ouverture générale. Ses gestes au public – le lavage des pieds des réfugiés, l’abandon de la pompe fastueuse et du luxe – témoignent de sa volonté de changer l’image de la papauté et de se rapprocher de «l’homme ordinaire». Bien sûr, cela approfondit la polarisation de sa perception dans les rangs de l’église. Nous trouvons une vision beaucoup plus réfléchie des problèmes actuels de la société tchèque plutôt dans l’environnement protestant que catholique. En témoigne le récent débat sur l’admission éventuelle d’orphelins syriens, dans lequel le cardinal Duka, contrairement au principal représentant évangélique, a suivi la ligne de décision politique.
Dans la lutte contre le populisme, la peur et les préjugés, ainsi que contre l’arrogance d’un pouvoir amoral, nous avons besoin d’une foi qui reflète les valeurs éthiques et généralement humaines. Le cœur de la foi est ce que l’Évangile appelle Métanoïa – le renversement de la superficialité, de la perte au milieu du mégaphone bruyant de la propagande vers la profondeur, vers l’intérieur, vers le temple de la conscience, qui doit être combiné à une vision rationnelle des choses. Dans le climat de troubles sociaux, les Églises chrétiennes, en étroite coopération avec la société civile de toute l’Europe, devraient jouer un rôle important dans l’amélioration de la situation.
Le froid sec tombé sur Prague ce soir semble se dissiper autour des milliers de bougies allumées par les passants là où s’est déroulée la « Révolution de velours », le 17 novembre 1989.
Tout en allant faire la fête, écouter de la musique sur les places ou admirer les illuminations du pont Charles de cette cité magnifique, tous s’arrêtent, jeunes et adultes, enfants et bébés dans les bras des parents, pour faire mémoire, afin de ne jamais oublier.
Nous aussi, petit groupe resté après la rencontre des Amis d’Ensemble pour l’Europe, nous nous sommes immergés dans cette atmosphère. Dans le partage, la joie de ce que nous avions vécu ces jours-ci s’est multipliée.
Les 170 participants sont repartis vers autant de directions, emportant avec eux une expérience indélébile : « Si nous comprenons qui est Jésus, nous comprendrons la vérité » ; « J’ai compris la différence entre individu et personne : l’individu mène aux autoritarismes, la personne porte à la communion » ; « Nous sommes citoyens, nous devons porter la fraternité dans la société » ; « Au milieu de toutes ces langues, j’ai appris la langue des cœurs en vue de l’unité » ; « Vous adultes, vous êtes un exemple pour nous les jeunes ! ».
Ces impressions résonnent encore en nous, comme celle-ci, du dernier jour : « Ensemble pour l’Europe est un appel ». Pour lui être fidèle, tout en nous immergeant dans la réalité où nous vivons, nous ne devons pas dévier notre regard des horizons que nous voulons atteindre. Quels horizons ?
La conscience que nos Églises, que chaque Mouvement ou Communauté, sont déjà en soi un réseau multiculturel, qui relie l’Europe au-delà des frontières et des langues. Nous sommes le prélude d’un peuple européen.
Chaque Mouvement ou Communauté est une expression de l’Évangile, d’où émerge son charisme propre comme réponse aux défis de notre époque.
Ensemble, sur la base de l’amour réciproque, avec Jésus présent au milieu de nous, nous constituons un laboratoire européen de l’unité dans la diversité réconciliée. Dans notre société individualiste, nous regardons Celui qui, sur la croix, a relié le ciel et la terre et nous travaillons à une culture d’‘’ensemble pour’’.
Convaincus que nous sommes les enfants d’un même Père, nous sommes ouverts à toute personne, pour vivre et donner notre témoignage de la fraternité universelle.
Pour le bien commun de nos villes, pays et continents, Ensemble pour l’Europe travaille avec des engagés en politique et des personnes du monde la culture pour la réalisation d’une Europe qui soit maison des nations et famille de peuples ».
On dit que, dans les Églises, les laïcs sont un « géant endormi ». « La réponse, c’est la responsabilité », disait Václav Havel. En endossant la responsabilité envers la société qui nous entoure, nous pouvons devenir une réponse par notre vie !
En partant, un participant nous rappelait la ‘Lettre à Diognète’, où l’auteur dit que les chrétiens sont le levain du monde. « J’ai pensé – nous confiait-il – c’est cela ! Ensemble pour l’Europe, pour sa petite part, a déjà redonné son âme à l’Europe. Le levain est déjà à l’œuvre et donne forme à la société ! Belle espérance pour un nouveau morceau de bon pain ! C’est fantastique ! »