Dialogue?!

Dialogue?!

Dialogue, Párbeszéd, Dialog, диалог, Dialogo, Dialóg…

Un des mots essentiels pour l’Europe d’aujourd’hui ! Comment avancer dans ce domaine ? Nous ressentons l’exigence de continuer, ou de (re)commencer, à mieux nous connaître entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest. Pour y répondre, la prochaine rencontre des Amis d’Ensemble pour l’Europe à Vienne (9-11 novembre 2017) sera un laboratoire en ce sens.

Nous avons cherché qui pourrait nous introduire dans ce sujet d’une brûlante actualité. Beaucoup d’entre vous auraient sûrement quelque chose à dire. Pour le moment, notre choix s’est porté sur les expériences de :

Gennaro Lamagna  Les Balkans vus par un Napolitain> 

Beatriz Lauenroth  Toujours plus à l’Est​> 

Tanino Minuta (l’article sera mis en ligne en octobre)

Maria Bruna Romito (l’article sera mis en ligne en octobre)

Les Balkans vus par un Napolitain

Les Balkans vus par un Napolitain

Ce n’est pas chose facile de raconter plus de 10 ans en Slovénie, Croatie et Roumanie.

Je m’y suis tout de suite senti à l’aise. L’impact initial avec la Slovénie a été spécial parce que les Slovènes sont un peuple complètement différent du mien. Je ne connaissais pas la langue, le climat était très froid, et il y avait toujours dans les maisons cette odeur caractéristique du charbon qui brûlait dans les poêles. J’ai été tout de suite frappé par leur sens de l’ordre et de la discipline. Je me souviens qu’un soir, avec un ami de la communauté, nous nous étions arrêtés devant un kiosque pour acheter des fruits. Lui s’était mis à faire la queue et moi, je m’étais mis à l’écart. Au bout de quelques minutes, je me suis aperçu qu’une queue s’était formée derrière moi… Je me suis vite rendu compte qu’il se passait la même chose pour prendre le bus. Cela m’a vraiment impressionné. Cinq mois plus tard, je suis parti en Croatie. J’y ai éprouvé un sentiment de liberté, parce que j’étais inscrit à l’université pour apprendre la langue et je pouvais rencontrer des personnes, circuler dans la ville et faire toutes sortes de choses auparavant impossibles. Avec les Croates, j’ai découvert un peuple très proche du mien : lumineux, cordial, accueillant et aimant la bonne chère.

La chute du Mur

Une expérience inoubliable, vécue instant après instant avec mes amis et beaucoup d’autres, devant la télévision : sous nos yeux, c’était le monde qui changeait !

La guerre

La guerre des Balkans a été une de mes expériences les plus fortes : une sensation un peu étrange parce qu’à Zagreb, où je vivais, nous n’étions pas directement touchés par le conflit. Dans les premiers jours seulement, j’ai vécu des moments de terreur à cause des snipers qui tiraient de tous côtés, au hasard, sur la population. Malgré cela, ce qui me reste le plus de ces années de guerre, ce ne sont pas les villes ou villages détruits, mais la solidarité qui s’est créée entre les personnes. J’étais ému d’assister à l’arrivée de camions pleins de nourriture, de vêtements, etc.  Pour ma part, comme mes parents étaient morts, J’ai littéralement vidé avec quelques jeunes l’appartement de ma famille à Naples et tout transporté en Croatie. Je me souviens aussi qu’au beau milieu de la guerre, en 1993, nous avons réussi à organiser un festival de jeunes. Ils étaient environ 3 000 : catholiques, orthodoxes, musulmans, et venaient de Yougoslavie, de Roumanie, de Bulgarie et de Moldavie. J’ai été particulièrement touché par une chanson d’un groupe de jeunes musulmans ! La radio et la télévision étaient présentes et le lendemain la nouvelle était en première page sur tous les journaux de la capitale.

La Dacia (Roumanie)

Dans ce pays, j’ai compris ce que veut dire passer d’une situation de bien-être à une situation d’indigence. Le communisme – c’est mon ressenti – avait réussi à détruire toute l’histoire culturelle, civile et populaire du pays. Pour moi, cela a été un choc ! Un jeune que je connaissais de vue m’avait demandé de l’argent. Sur le moment, je n’ai pas pu l’aider parce que je n’avais pas sur moi la somme qu’il me demandait. Mais je me suis posé cette question : « Pourquoi est-ce à moi qu’il s’est adressé ? ». Réponse évidente : « Parce qu’il sait que je suis Italien et il pense qu’à n’importe quel moment je peux repartir d’où je viens ». La véritable pauvreté est la sensation de n’avoir plus rien et de ne pas avoir quelqu’un qui peut vous aider. En Roumanie, j’ai fait aussi l’expérience du partage profond, avec la rencontre de frères et sœurs qui attendaient quelque chose qui donne enfin un sens à leur vie : l’Amour. Comme auparavant en Slovénie et en Croatie, j’ai encore des relations fraternelles avec beaucoup d’entre eux.

Gennaro Lamagna

 

Toujours plus à l’Est

Toujours plus à l’Est

Rossiya mon Amour

Moscou 1991. C’est l’hiver. Ce premier après-midi, mon avion atterrit à l’aéroport de Moscou-Cheremetievo.

La salle d’arrivée est faiblement éclairée et la queue au contrôle des passeports et visas interminable. J’ai trouvé un emploi à l’université Lomonossov et voilà que je débarque en Russie avec toutes mes affaires. Dehors, il fait déjà nuit et, d’une certaine manière, j’ai l’impression qu’ici le monde est définitivement fini. Puis l’annonce : « Correspondance pour Novossibirsk et Krasnoïarsk ». Je pense alors : « Il me semble au contraire que c’est ici que tout commence ».

La magie des commencements

Je vis dans une petite communauté œcuménique. Notre appartement se trouve rue Volocaevskaïa, dans un quartier ouvrier. Au premier abord, cela semble un endroit peu fiable. A ma question : « Pourquoi n’allons-nous pas, comme tous les étrangers, sur le terrain sûr de l’ambassade ? », on m’explique : « Ne t’inquiète pas ! Ici, le prolétariat nous protège ».

En fait, le contact avec nos voisins est spontané : les vieilles dames, assisses presque jour et nuit dans la cour, savent exactement qui arrive, avec qui et à quelle heure, qui s’en va et où il va. Par leur spontanéité, les enfants me font oublier la puanteur et la saleté de la cage d’escalier. Rue Volocaevskaïa, nos nouveaux amis viennent volontiers, collègues et étudiants, jeunes et moins jeunes. Dans notre appartement meublé, ils ne sont pas gênés par le canapé rongé par les rats ni par le tuyau d’eau qui fuit dans le couloir. Le début de notre profonde amitié nous immerge dans une lumière éblouissante et nous fait oublier tout le reste.

Les « fils spirituels » d’Alexandre Men

Au début des années 90, en Russie, la production continue à diminuer. Les magasins sont vides, on manque de tout. La vie religieuse semble éteinte. Dans les églises, il y a une usine de vodka, un bureau, un magasin…

Nous connaissons depuis longtemps le prêtre russe-orthodoxe Alexandre Men. Depuis les années 60, il baptise clandestinement des milliers de personnes et montre une ouverture œcuménique qui n’est pas sans danger à cette époque. Autour de lui se forme une communauté vivante de chrétiens orthodoxes. Quand le père Alexandre est sauvagement tué, il laisse ses « fils spirituels » traumatisés, comme orphelins.

« Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom… »

Rapidement, beaucoup d’entre eux s’unissent à nous. Nous commençons à vivre ensemble la Parole de l’Écriture, par exemple : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20). Ils trouvent parmi nous une nouvelle patrie, comme ils l’expriment eux-mêmes. « Vous, vous ne faites pas de prosélytisme, vous nous aidez à devenir un ferment pour un renouveau de l’Église russe-orthodoxe ». Après des dizaines d’années de sécheresse spirituelle, nous vivons avec eux et d’autres un nouveau printemps. Je suis heureuse comme jamais. La soif d’une vie spirituelle en communion nous unit, nous qui sommes si différents par la culture, l’éducation et la mentalité.

Ma découverte

Dans les années 90 – avec la pérestroïka et le glasnost – de plus en plus d’organismes et de sectes entrent dans les pays d’au-delà du rideau de fer, mais aussi des aides des différentes Églises (Renovabis, Kirche in Not, Bonifatiuswerk…) et des mouvements religieux (Communion et Libération, le Chemin Néocatéchuménal, les Focolari, la Communauté Sant’Egidio…). Quelques-uns restent, beaucoup sont repartis.

Mon expérience personnelle, comme Allemande de l’Allemagne de l’Ouest, après presque 20 ans en Russie ? J’ai reçu de ce pays infiniment plus que ce que je pourrai jamais donner : entre autres, le recueillement pendant la riche liturgie orthodoxe-russe, où ma relation à Dieu s’est approfondie ; et les amitiés solides qui continuent à distance et me montrent combien je suis aimée. J’ai redécouvert ma vocation de chrétienne et de femme : j’ai été appelée pour aimer. Pendant ces années, je crois que nous avons récrit à notre manière les Actes des Apôtres. Les phrases : « Voyez comme ils s’aiment » et « ils mettaient tout en commun » (Ac 4,32) nous ont marqués, modelés. Je les comprends de façon nouvelle : l’Évangile va beaucoup plus loin… bien au-delà de Novossibirsk et Krasnoïarsk !

Beatriz Lauenroth

 

Intervention de Mons. Nunzio Galantino

Intervention de Mons. Nunzio Galantino

Mons. Galantino, Secrétaire général de la conférence épiscopale italienne, lors de la veillée œcuménique à Rome 2017

« Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde » .

Une considération de caractère littéraire peut nous aider à cueillir toute la force et la portée de cette expression.

Dans les versets qui la précèdent immédiatement (Mt 5,1-12), Jésus avait proclamé les Béatitudes. Donc, ce « vous êtes sel… vous êtes lumière » n’est pas une définition que Jésus entend donner à ses disciples ! Mais plutôt, après avoir proclamé les Béatitudes, Jésus veut dire à ses disciples : vous voyez, si votre vie se déroule dans la logique des Béatitudes… vous êtes sel et lumière de la terre ; seulement si vous vivez dans la logique des béatitudes votre présence contribue à donner du gout à votre vie et à celle des autres, saveur et beauté à votre existence et à celle des autres.

J’ai voulu faire cette présentation parce que beaucoup d’entre nous pensent encore qu’il suffit de se présenter comme « chrétiens » pour que tout de suite on nous croie, pour qu’on nous reconnaisse la fonction de « lumière » (point de référence) et de « sel » (porteur de sens). C’est un discours qui vaut pour nous tous, probablement aussi pour toutes les traditions chrétiennes et pour ceux qui appartiennent à toute foi religieuse. Je crois en fait qu’il s’agisse d’une tentation qui peut atteindre tout homme, de n’importe quel milieu, même au-delà de toute appartenance religieuse. Il y en a même qui pensent qu’il suffise de se présenter vêtus d’une certaine manière ou utiliser un certain langage pour être automatiquement crédible comme personnes qui donnent du gout et un sens nouveaux à la vie.

En nous présentant les béatitudes et en les faisant suivre par ce « vous êtes sel… vous êtes lumière », Jésus a indiqué la route que le croyant est appelé à parcourir. Le disciple de Jésus est appelé à suivre un code bien défini, celui des béatitudes, fait de passion pour les œuvres de paix, d’attention miséricordieuse envers les autres, de vie vécue dans la pauvreté et marquée par la sobriété. C’est cela qui donne un sens et du gout à la vie du croyant, en en faisant une vie qui resplendit.

Souvent, au lieu de répandre du gout et donner de la beauté à travers des gestes et des choix concrets, comme nous le demande Jésus, nous nous engageons (plus souvent, nous « nous donnons un mal fou ») à démontrer, à argumenter. Au lieu d’allumer la lumière, nous préférons organiser quelque chose de mastodonte et de grandiose pour… étonner !

Mais ce n’est pas ce que nous demande l’évangile ! Au contraire il nous donne une indication qui frôle la banalité quand il affirme que l’amour ne se démontre pas, l’amour se vit ; et justement puisqu’il se vit, l’amour ne se démontre pas mais se montre. Le gout authentique des choses ne se démontre pas, mais se réalise. La lumière ne se démontre pas, la lumière s’allume et par la fait même se rend visible.

Lorsque Jésus dit « Vous êtes sel… vous êtes lumière », c’est comme s’il disait : Vous voulez faire connaitre Dieu ? Ne discutez pas sur Lui, ne démontrez rien ; faites plutôt quelque chose de concret ; mais de tellement beau, de tellement sensé et savoureux… que, celui qui vous rencontre puisse spontanément dire : mais c’est vraiment beau ce que tu fais et ce que tu vis ! Qui t’en donne l’inspiration ? Au nom de qui tu le fais ?

C’est ainsi que Dieu veut être présenté et témoigné ! Avec la même force et la même évidence que la lumière ; avec le même gout fort que le sel : à travers des choix et des gestes concrets, qui donnent du gout et inspirent du sens à la vie.

Beaucoup de nos choix pastoraux, et nos manières de nous positionner par rapport à la société où nous vivons, surtout celles qui ne vont pas dans cette direction, risquent d’être des diversions. Nous risquons de cacher l’unique action que l’évangile nous propose : celle de mettre en évidence/témoigner ; ce qui veut dire faire des choix et poser des actes qui rendent avec évidence « savoureuse » la vie vécue avec le Christ. Si la vie du croyant se présente de cette manière, avec une vie qui a un sens, du gout au point de faire de la vie une réussite… alors, même les contenus que nous essaierons de transmettre auront un sens différent ! Alors, que signifie être lumière, sel ? Qu’est-ce qui peut donner du gout et du soleil à notre vie de croyants ?

On peut le faire en s’engageant à ouvrir de nouvelles voies et à rêver à de nouvelles possibilités, en osant plus et en luttant contre le fatalisme et l’habitude : deux maladies mortelles, non seulement pour le croyant ! Nous devons sourire de nouveau et en conséquence faire sourire celui que nous rencontrons. Le sourire, parce qu’il se sent compris, parce qu’il rencontre des gens qui ne supportent pas l’esprit guerrier et discriminant des « petites âmes ». Nous devons sourire de nouveau et rendre le sourire contagieux pour que notre être lumière illumine sans prétendre aveugler ; et notre être sel donne un gout délicat sans prétendre tout assurer. Pensez combien cela dérangerait une lumière qui aveugle et mauvaise une pitance trop salée !

Etre lumière et sel dans le respect de ceux qui nous rencontrent ! Quelle délicatesse est demandée, surtout aujourd’hui, au croyant !

Nous ne soulignerons jamais assez ce que Pierre recommande aux destinataires de sa première lettre : « Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui se trouve en vous, à tous ceux qui vous demandent des explications. Mais faites-le avec patience et respect, et en ayant une conscience propre. » (1 Pt 3,15s)

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Prions avec Matthieu 5, 13-16

Seigneur, Tu me demandes d’être « sel”. Tu me demandes donc de rester au contact de la terre, d’être présent dans le temps où je vis, ici et maintenant. Attentif à mes besoins et à ceux qui sont autour de moi.

Tu me demandes d’être « lumière », à un moment où les ténèbres semblent se faire plus épaisses. La lumière me permet de voir le contour et les couleurs des objets, de la réalité et du monde, dans leurs nuances, et dans leur beauté. Mais elle permet aussi de connaitre leurs innombrables nécessités.

Donne de la saveur, Seigneur, à ma vie ; Donne de la consistance à mes espoirs ; Donne de la confiance à mes peurs ; Donne de la lumière à mes obscurités, et paix à mon cœur, à mes pensées, à mes émotions.
 Fais-moi comprendre, Seigneur, que je serai “sel”, si je sais être humble, en ce temps d’arrogance ; homme de paix, en ce temps de malversation ; Libre des « choses », en ce temps où la personne « vaut » en fonction du compte en banque qu’elle possède.

Fais-moi comprendre que je ne serai vraiment « sel » et « lumière » que si je suis engagé à dénoncer tout profit dans un Occident qui a fondé son propre bienêtre sur l’usurpation.

Je serai « sel de la terre » si, avec et dans mon environnement, je ne recule pas devant les nécessités des autres.

Intervention de Andrea Riccardi

Intervention de Andrea Riccardi

Andrea Riccardi, Fondateur de la Communauté de Sant’Egidio, lors de la veillée œcuménique à Rome 2017

Chers amis,

Cela, ne le cachons pas : de nombreux Européens se sentent perdus et dépaysés. Où va l’Europe ? Résistera-t-elle à la tentation de se séparer ? L’Europe semble ne plus protéger ses ressortissants. Au contraire, certains essaient de parcourir la voie opposée à celle des Pères fondateurs de l’Europe, qui avaient une mémoire vive de l’horreur de la guerre, des murs de haine, des camps de concentration et des ruines. De nos jours, la génération qui se souvient de cette histoire a disparu. On considère peu l’histoire car pris par le présent d’une politique d’émotions et d’angoisse. Le recours à la guerre lui-même en arrive à être considéré trop “normal”, alors que c’est une folie pour celui qui a vu même hier – en Irak ou en Libye – que la guerre produit la guerre.

L’Europe ne vit pas, si elle n’a pas la mémoire. Nous serons le continent du futur si nous sommes celui de la mémoire. Or il faut se souvenir de la grande paix, soixante-dix ans, construite solidement après des siècles de guerres. C’est le fruit de l’Europe unie : la paix a apporté la prospérité, le développement d’une culture aux racines antiques. C’est une réalité qui s’impose, évidente, plus que les émotions et les peurs qui dominent le présent. Cette Europe est notre paix et notre prospérité.

Sa crise est venue, lorsque les égoïsmes l’ont bloquée : égoïsmes nationaux, de groupe, d’intérêts, et enfin personnels. Ils l’ont bloquée dans son élan. L’Europe n’a donc pas accompli le saut qui aurait fait d’elle la protagoniste de la scène mondiale, avec une politique étrangère et de défense en commun. Non seulement la paix pour l’Europe, mais une politique commune de paix pour la Méditerranée, les Balkans, l’Afrique, le monde. « Europe, force tranquille » – disait Tommaso Padoa Schioppa. Les égoïsmes risquent, de nos jours, de la bloquer et de la dévorer de l’intérieur. Ils poussent à redevenir les maîtres des destins nationaux et de voir chez les autres une menace. Ainsi les frontières reprennent de la valeur : envers les immigrés, parmi les jeunes et les personnes âgées, parmi les riches et ceux qui sont fragiles, entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. Les frontières peuvent devenir des murs : certains pensent qu’ils éloignent les tragédies du monde. L’Europe est, elle aussi, impliquée dans la guerre cruelle en Syrie, qui dure depuis six ans, plus que la première guerre mondiale.

Les murs offrent l’illusion de protéger : en réalité ils manifestent la décadence. Ils sont la ligne Maginot de la défaite morale et politique de l’Europe.

Dans le monde global, l’histoire n’a pas de digues, mais elle demande des acteurs forts et unis. Cela demande d’avancer unis et sans faire marche arrière à la recherche d’abris par groupes ou nations, car nous sommes dans une période globale nouvelle. On ne fait pas marche arrière. Les États nationaux autonomes sont une embarcation pour des navigations des temps passés. Nous devons faire face aux dimensions du défi et de la vie d’aujourd’hui : cela ne sert à rien de poursuivre la politique de l’autruche. Une Europe fermée ou divisée sera submergée par les marchés et par les géants économico-politiques dans un monde global et interdépendant. Sur les scénarios de la globalisation, il faut plus d’Europe, si nous voulons que ce soit la terre des jeunes, si nous voulons que notre identité humanistique, religieuse et des droits survive : il ne suffit pas que ce soit uniquement la terre qui nous protège, nous, retraités, pendant quelques années. Un monde sans Europe manquera d’une force de paix et de sagesse historique.

Nous sommes rassemblés entre chrétiens. L’idée européenne ne fut pas confessionnelle, mais bien chrétienne : elle se développa avec la passion de l’Église du moment. Mais de nos jours, quand l’Est et l’Ouest prennent des voies différentes, quand le grand objectif européen qui exprime une extraversion chrétienne du continent, s’ébranle, où sont les voix des chrétiens ? et celles des Églises ? Quand les frontières se transforment en murs face aux réfugiés, où sont ces voix ? Quand ce monde se retrouve face à un risque de guerre, le silence est souvent là.

La forte voix de Pape François – pensons au discours pour le Prix Charlemagne – reste solitaire dans un christianisme, fragmenté comme l’Europe, peu capable de sortir des égocentrismes de groupe ou ecclésiastiques, incapable de nourrir une vision. Que cette prière commune puisse, que la Parole de Dieu puisse comme à l’époque des prophètes, faire croître une grande vision pour notre époque dans les corps et dans l’esprit. Il faut se remettre à penser et à agir avec élan, avec une vision, parce que nous avons vécu pendant trop de périodes des moments de mesures étroites et des mots sans lumière. Karol Wojtyla, au cours des années pendant lesquelles l’Europe était partagée par un mur dur : « Le monde souffre surtout à cause d’un manque de vision ».

 

Intervention de Gerhard Pross

Intervention de Gerhard Pross

Gerhard Pross, Modérateur de Ensemble pour l’Europe, lors de la veillée œcuménique à Rome 2017

« Ensemble – pour – l’Europe ». Il n’est pas possible de rendre de façon plus précise combien « Ensemble – pour – l’Europe » est important pour environ 300 Communautés et Mouvements d’inspiration chrétienne.

Nous sommes un réseau œcuménique de communautés et de Mouvements chrétiens. Nous venons de plus de 30 Pays européens, de l’Oural à l’Atlantique ; nous parlons des langues différentes ; nous vivons au sein de cultures diverses et nous appartenons à des Églises différentes : nous sommes catholiques, évangélistes, anglican, orthodoxes, d’Églises libres. Parmi nous, vivent des spiritualités diverses.

Pourtant, nous sommes convaincus, car nous en avons fait l’expérience, que l’unité est possible. Notre chemin commun a commencé par une expérience de réconciliation profonde au sein d’un groupe de responsables. L’unité est devenue possible.

Depuis, nous vivons une unité dans la diversité. Chacun conserve son originalité. Mais de la réconciliation, vécue en Jésus Christ, naît la force d’expérimenter la diversité de l’autre en tant que richesse.

Nous rappelons ici, tout particulièrement, trois fondateurs qui, maintenant, nous accompagnent du Ciel : Chiara Lubich, fondatrice du Mouvement des Focolari, a donné la première impulsion ; Helmut Nicklas, responsable du CVJM (YMCA) de Munich, est devenu l’architecte de l’« Ensemble » ; le Cardinal Miloslav Vlk a exprimé, tout particulièrement parmi nous, le pont entre charisme et hiérarchie ecclésiastique.

Quand, en mai 2004, nous avons invité 10 000 participants à un grand évènement à Stuttgart, l’Europe tirait parti de l’impulsion positive des nouveaux Pays qui s’étaient ajoutés à l’Union Européenne. Au cours de l’été 2016, la situation était bien différente lors d’un grand Congrès et d’une Manifestation auxquels nous avions invité les personnes à Munich seulement 3 jours après la Brexit. Nous avons ressenti et nous ressentons encore maintenant que : L’Europe vit un moment de désarroi.

L’Union Européenne vit une crise après l’autre. Dans une période de crise, ponctuée par des actes de terrorisme, avec des milliers de personnes, là, à Munich, nous avons dit publiquement, clairement et à voix haute, notre ‘OUI‘ à l’Europe. « Il n’y a pas d’alternatives à ‘l’Ensemble en Europe’ ». C’est par ces mots de la Constitution de l’Union Européenne que nous avons commencé notre Message à Munich.

Puis-je le dire d’une manière personnelle en tant que l’un des porte-parole d’Ensemble pour l’Europe ? L’initiative de Munich m’a profondément touché et j’ai placé l’Europe à la première place de mon agenda. Depuis 17 ans nous sommes, ensembles, sur le même chemin, mais il n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui d’exprimer notre OUI à l’Europe.

  • À une époque où se dressent le populisme, les égoïsmes et les nationalismes, nous disons notre OUI à une culture de la relation et de l’alliance.
  • À une époque où les démons qui nous ont amenés plusieurs fois à la catastrophe, reviennent, nous disons notre OUI à l’Évangile, à la réconciliation et à l’amour.

Au sein de nos Mouvements, nous devons éveiller la conscience de l’urgence de notre OUI à l’Europe.

En tant que Communautés et Mouvements, nous devons exprimer publiquement notre OUI à l’Europe.

Nous nous engageons pour une Europe de « l’ensemble ». Pour une Europe qui reconnaisse la diversité en tant que richesse et qui vive « l’ensemble » en paix et en unité. Et notamment, pour une Europe à laquelle Dieu, au cours de l’histoire, a confié une mission : l’ensemble du ciel et de la terre, l’ensemble de la foi et de son incidence sur le monde, parce que, dans le [Christ] crucifié, c’est le ciel et la terre qui se rencontrent.

Aujourd’hui – mais non pas seulement aujourd’hui – à la veille de la célébration des “60 ans du Traité de Rome”, nous nous réunissons pour prier et pour rappeler, en tant que Communautés et Mouvements chrétiens, que nous comptons – en plus de notre engagement – sur l’aide essentielle de Dieu.

L’Europe a besoin de notre prière.