Voix de Prague – partie 1

Voix de Prague – partie 1

Rencontre des « Amis d’Ensemble pour l’Europe » à Prague – Brèves interviews avec quelques participants – partie 1

« Traverser nos peurs ». Gérard Testard, Efesia, France

« Non sediamoci sul divano! » František Talíř, Movimento dei Focolari, Cechia.

« Going against the mainstream. » Annamária Fejes, Focolare Movement, France

« Ricerca della verità come antidoto alla paura. » Georges El Hage, SYNDESMOS, Francia

« Ein Geschenk des Heiligen Geistes ». Sr.M.Lioba Ruprecht, Schönstätter Marienschwestern, Deutschland

 

La tâche d’une minorité créative

La tâche d’une minorité créative

Nous reproduisons ici des extraits de une intervention de Jesús Moràn Cepedano, co-président du Mouvement des Focolari, philosophe et spécialiste d’anthropologie théologique, prononcée au cours du Congrès d’Ensemble pour l’Europe, à Munich, le 30 juin 2016.

Pourquoi l’Europe a-t-elle donné naissance ces derniers siècles à une culture qui a fait de Dieu non plus un mystère, mais un problème insoluble ? Et qui, par conséquent, a fait aussi de l’homme un problème inextricable dans son rapport à lui-même, aux autres, au cosmos, à l’Absolu ? La question n’en est que plus « scandaleuse » si l’on pense à l’histoire du continent européen qui, au cours des siècles, a élaboré un fort et original humanisme spirituel, artistique, philosophique, scientifique, juridique et politique.

En 2004, celui qui était encore le cardinal Ratzinger se demandait s’il n’était pas exact, comme l’affirme Toynbee, que le destin des sociétés dépend dans une large mesure de minorités créatives. Peut-être – soutenait-il – est-ce la tâche qui revient aux chrétiens : se considérer comme la minorité créative qui amène l’Europe à redécouvrir son héritage.

Quel que soit cet héritage, il nous est rappelé de façon surprenante par des intellectuels de la pointure de H.G. Gadamer et G. Steiner : à partir de perspectives différentes, tous deux voient pour l’Europe une tâche « autant spirituelle qu’intellectuelle ». Pour Gadamer : « Vivre avec l’autre, vivre comme l’autre de l’autre, est une tâche universelle et valable à petite comme à grande échelle. Comme nous qui, en grandissant et en entrant dans la vie, apprenons à vivre avec l’autre, il en va de même pour les grands groupes humains, les peuples et les États. Et c’est probablement un privilège de l’Europe d’avoir, plus que d’autres pays, su et dû apprendre à vivre avec la différence ». (L’eredità dell’Europa, Einaudi, Torino 1991, pp. 21-22)

Un tel destin requiert la créativité, l’intelligence, la capacité de se réaliser et d’aller au-delà de ses propres limites, qualités qui ont toujours fait partie de l’âme de l’Europe, comme le montre son histoire, surtout après la seconde guerre mondiale. Les Pères fondateurs ont fait preuve d’audace en rêvant d’une autre idée de l’Europe, mais surtout en commençant à la réaliser, misant sur l’intégration de tout le patrimoine du continent. Ils étaient bien conscients, selon les paroles prophétiques de Konrad Adenauer, que « l’avenir de l’Occident n’est pas tant menacé par la tension politique que par le danger de la massification, de l’uniformité de la pensée et du sentiment ; en bref par toute la manière de vivre, par la fuite des responsabilités, avec son propre moi pour unique préoccupation »[1].

Plus que jamais, la perspective que l’Europe peut et doit encore offrir au monde est celle de former une culture d’unité dans la diversité à tous les niveaux, de celui personnel et quotidien à celui des institutions et de la prospective, comme l’a rappelé récemment le patriarche œcuménique Bartholomée 1er : « Les Institutions humaines elles aussi – si nous sommes capables de les ‘’transfigurer’’ avec cette attention à la diversité – sauront comprendre que les différences sont un avantage et non une cause de conflit, une richesse et non un déséquilibre, une source de vie et non de mort. Nous vivons dans un contexte où le pluralisme risque d’être sacrifié au nom d’une fausse unité qui veut l’uniformisation globale de toutes les expressions de l’homme […]. Au contraire, c’est justement grâce à l’acceptation de ces différences, comme fondement de l’unité de l’humanité blessée, à travers un dialogue suscité par l’amour, à travers le respect réciproque, l’accueil de l’Autre, à travers notre disponibilité à accueillir et à être accueillis, que nous pourrons devenir pour le monde icônes du Christ et, comme Lui, dans l’unité, être aussi diversité »[2].

Il s’agit donc de conjuguer à nouveau, avec une énergie et une décision renouvelées, une culture des droits de l’homme qui puisse allier avec sagesse la dimension personnelle et celle du bien commun de tous les groupes intermédiaires qui s’unissent dans la communauté sociale et politique. En même temps, il faut agir ainsi sans perdre de vue la dignité transcendante de l’être humain, comme le pape François l’a affirmé avec force en 2014 au Parlement européen.

Dans ce parcours, le rôle des communautés ecclésiales s’avère encore une fois décisif, parce qu’elles ont pour mission l’annonce joyeuse de la bonne nouvelle. A une époque où il semble que soit rompue « l’alliance culturelle » des Églises avec la société ambiante, il s’agit de revenir à l’Évangile, de susciter des rencontres significatives à la lumière de l’Écriture et des récits évangéliques, pour engendrer la vie même engendrée par Jésus de Nazareth. Comme l’a souligné le pape François à l’occasion de la remise du Prix Charlemagne : « Dieu désire habiter parmi les hommes, mais il ne peut le faire qu’à travers des hommes et des femmes qui, comme les grands évangélisateurs du continent, soient touchés par Lui et vivent l’Évangile, sans rien chercher d’autre. Seule une Église aux nombreux témoins pourra redonner l’eau pure de l’Évangile aux racines de l’Europe. En cela, le chemin des chrétiens vers la pleine unité est un grand signe des temps, mais aussi l’urgence de répondre à l’appel du Seigneur ‘’pour que tous soient un’’ (Jn 17,21) »[3].

[1] Discours à l’Assemblée des artisans allemands, Düsseldorf, 27 avril 1952. Repris par le pape François dans son discours pour la remise du Prix Charlemagne (13 mai 2016).

[2] Lectio magistralis du patriarche œcuménique Bartholomée 1er à l’occasion de la remise du doctorat honoris causa en culture de l’unité de l’Institut universitaire Sophia, Loppiano (Italie), 26 octobre 2015.

[3] Pape François, Discours pour la remise du Prix Charlemagne, Rome, 13 mai 2016.

Photo: ©Ursel Haaf – www.urselhaaf.de

La vérité vainc

La vérité vainc

L’Europe vit des idées qui l’ont fait naître.

Dans le cadre de la préparation à la prochaine rencontre des Amis d’Ensemble pour l’Europe, 3 questions à Jiři Kratochvil, de Prague, spécialiste du dialogue entre les différentes cultures européennes.

Le prochain rendez-vous avec les Amis d’ « Ensemble pour l’Europe » aura lieu à Prague, terre des hussites, du Printemps de Prague et de la Révolution de velours. La grande Histoire du peuple tchèque servira de toile de fond au dialogue entre les participants. Comment mieux comprendre cette Histoire ?

C’est une histoire tourmentée, qui se caractérise par de grands réveils idéalistes et spirituels, par la recherche de la justice et de la vérité, mais qui se sont souvent terminés par d’immenses désillusions. C’est le cas des trois mouvements que vous mentionnez. Le mouvement hussite, qui s’est déchainé après la mort sur le bûcher du prêtre Jan Hus, en 1415, considéré comme un martyr de la vérité par ses disciples. Malheureusement, les guerres qui ont suivi, où il n’était plus question de la vérité, mais du pouvoir, ont complètement dévasté le pays. De même, des siècles plus tard, en 1968, les principaux acteurs du Printemps de Prague voulaient installer un régime socialiste « à visage humain », libéré de tous les mensonges et de la cruauté du passé récent, avec le soutien et l’enthousiasme de toute la nation, comme jamais auparavant. Malheureusement, cet espoir a été détruit sous les roues des chars d’assaut et s’est éteint dans la résignation générale, malgré le sacrifice héroïque de Jan Palach (un étudiant qui s’est immolé par le feu en signe de protestation).

Vient ensuite la Révolution de velours de 1989, dont beaucoup se souviennent. Elle a été conduite par Vaclav Havel et son mot d’ordre : « L’amour et la vérité doivent l’emporter sur le mensonge et la haine ». Personne ne s’attendait à ce que s’ensuive une lutte aussi dure : les valeurs spirituelles des premiers mois, fortement exprimées au cours des manifestations populaires sur les places, se sont éteintes petit à petit, remplacées par le pragmatisme de la « technologie du pouvoir ».

Le drapeau du Président de la République Tchèque porte l’inscription : « La vérité vainc ». En fait, deux mots ont été supprimés de la version originale : « de Dieu ». Soit : « La vérité de Dieu vainc ». Nous sommes certains qu’à la fin de l’Histoire, Sa vérité l’emporte, mais auparavant, peut-être doit-elle subir bien des défaites, comme nous le montre l’Histoire – et pas seulement l’Histoire tchèque – ce qui ne nous dispense pas du devoir de nous mettre toujours de Son côté, celui de la Vérité.

« Ensemble pour l’Europe » veut contribuer à construire l’unité entre l’Europe orientale et occidentale. Quel peut être le rôle de la République tchèque ?

A cause de son histoire religieuse tourmentée, la République Tchèque est un pays très sécularisé. La plus grande partie de la population ne veut pas être identifiée avec une Église. Ce qui ne veut pas dire que les personnes sont athées. Étonnamment, le nombre des athées déclarés diminue. Parmi les gens, surtout les jeunes et les intellectuels, il existe une très forte sensibilité aux valeurs spirituelles et culturelles. Pour preuve, par exemple, l’accueil chaleureux fait en 2009 par la municipalité de Prague au pape Benoît XVI. Peut-être est-ce cette rencontre qui a suscité chez celui-ci l’idée de créer ce qu’il a appelé « la Parvis des gentils », une initiative de dialogue avec le monde « laïc ».

Chercher ensemble différentes formes de ce dialogue, en tant que chrétiens de diverses dénomination unis entre nous, pourrait être une voie pour le projet « Ensemble pour l’Europe ». Les laïcs sécularisés sont dans toute l’Europe, avec des visages et spécificités divers. La République Tchèque pourrait devenir un petit « laboratoire » du dialogue avec eux.

En pensant à l’avenir de l’Europe, quels sont les défis encore à relever pour atteindre le but : l’unité ?

C’est une question très difficile, mais la réponse, même si elle n’est pas simple, me semble assez logique. On dit que chaque nation – et c’est aussi valable pour un continent – vit des idées qui l’ont fait naître. Rappelons-nous d’où est née l’Europe dans laquelle nous vivons aujourd’hui : de Jérusalem (foi), d’Athènes (raison) et de Rome (droit). Sur ces fondements solides se sont développées sa grandeur et sa richesse culturelle, spirituelle et matérielle. Il nous faut aujourd’hui faire face à la situation d’une migration de peuples, semblable à celle du début du Moyen-Age. Le plus grand défi consiste à savoir vivre avec l’altérité des nouveaux arrivants, qui seront sûrement nombreux, parce que les courants migratoires vont continuer, non seulement pour des raisons politiques et économiques, mais avant tout climatiques. Ne nous faisons pas d’illusions : l’Europe telle que nous la connaissons disparaitra tôt ou tard, et aussi pour des raisons de natalité décroissante.

Nous chrétiens, devons être la « minorité créative », en revenant aux racines fortes de notre tradition et à toutes les valeurs authentiques qui en sont nées, sans être fermés aux stimuli nouveaux. Sur cette base spirituelle, en demandant la grâce de Dieu, nous pouvons chercher la nouvelle unité de la nouvelle Europe.

Jiři Kratochvil, né en 1953. Diplômé en économie à Prague. A travaillé de nombreuses années dans plusieurs entreprises d’État dans le secteur de la finance. Après la chute du communisme, a aidé la Caritas à se rénover. A vécu au Canada, en Italie et en Allemagne, outre la République Tchèque et la Slovaquie. Travaille actuellement à Prague en tant que traducteur pour la Conférence épiscopale tchèque.

Photo: Prague: ©Canva; Jiři Kratochvil: privée

Europe dans «l’âge de l’anxiété»

Europe dans «l’âge de l’anxiété»

Un engagement renouvelé et accru est nécessaire pour promouvoir une « culture de la confiance », confiance dans le Dieu  « séculaire », présent en ce monde.   

L’intervention de Herbert Lauenroth au le Congrès International de « Ensemble pour l’Europe, Munich 2016 » est encore aujourd’hui plus que jamais d’actualité. En voici le texte complet.

À l’heure actuelle sévient des angoisses et des questions obsédantes concernant le nouveau rapport qui est à équilibrer entre «liberté» individuelle et «sécurité» collective et la signification des frontières – dans le contexte d’une restructuration de la «société du risque» ou « ouverte » vers «la société de l’angoisse ».

Dans le livre de la Genèse, Dieu appelle Adam – dans un moment dramatique: «Où es-tu, Adam ? » – L’appel s’adresse à Adam, qui – dans la honte et l’angoisse – a pris refuge dans le sous-bois et se cache de la vue de Dieu, parce qu’il a pris conscience de sa nudité existentielle et de sa pauvreté. L’image correspond à notre situation actuelle en Europe : L’homme se barricade, il se retranche dans son désespoir. Poussés par l’angoisse et la honte, il reste prisonnier de soi-même, et il ne comprend pas que la libération de l’angoisse et de l’implication coupable ne réussira que s’il s’expose à l’appel de Dieu, à la vue des autres personnes, dans lesquelles Dieu le rencontre depuis toujours.

Donc, l’Europe se trouve dans ce sous-bois, dans ces implications d’angoisse et de honte par les propres limites et histoires de culpabilité. Ce sous-bois, c’est Idomeni, la frontière macédonienne, les barrières de fil de fer barbelé à la frontière serbo-hongroise, mais il représente aussi les exclusions variés de de notre société.
Si vous lisez maintenant le scénario biblique en vue de la transformation de l’Europe en «forteresse» – comme protection contre les réfugiés, l’image acquiert encore une autre lecture : Alors il se présente à nous la souveraine européenne : en tant que celle qui est effectivement sans demeure, sans abri, fugitive – qui est dans la fuite la plus fatale : celle devant soi-même.

L’Europe doit, donc, entendre l’appel de Dieu biblique à nouveau : comme une question de la destinée, de la mission et de la responsabilité pour soi-même et pour le monde: « Europe, où es-tu ? »

Cette image de l’étroitesse existentielle, de laquelle Dieu appelle à en sortir, trouve son pendant dans les visions d’un isolement cosmique de l’homme, dans un espace de monde indifférent, inhospitalier, que le philosophe et mathématicien Blaise Pascal a exprimé : «Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ! « . Il s’agit d’un être effaré ou en proie, qui effraie l’homme isolé, abandonné à soi-même ; cela reflète le leitmotiv qui a été décrit comme « perte du centre » ou «sans-abrisme métaphysique». Cette peur de la perte de soi et du monde peut tout aussi bien ouvrir un nouvel espace expérientiel :

Le poète tchèque et président Vaclav Havel, en son temps, dans un bilan des révolutions pacifiques des années 1989-90 en Europe de l’est, a parlé de la peur comme «peur de la liberté » : « Nous étions comme des détenus qui étaient habitués à la prison, puis, libérés du coup dans cette liberté tant attendue, ils ne savaient pas comment traiter avec elle et ils étaient désespérés parce qu’ils devaient constamment prendre des décisions eux-mêmes et assumer la responsabilité pour leur propre vie. »

Il s’agit, selon Havel, d’affronter cette peur. Puis, dans cette vérité, elle peut devenir une bénédiction: « La peur de la propre incapacité peut éveiller en nous de nouvelles capacités : la peur que nous ne réussissons pas, peut être le meilleur moteur pour notre désir de réussir quand-même. La peur de la liberté peut être justement ce qui nous enseigne finalement à faire bon usage de notre liberté. Et la peur de l’avenir peut être justement ce qui nous oblige à tout faire pour que l’avenir sera meilleur. »

Le grand théologien protestant Paul Tillich identifie enfin la peur comme une expérience fondamentale de la connaissance dans l’existence humaine : « Le courage d’être », dit Tillich, « est enracinée dans le Dieu qui apparaît lorsque Dieu dans l’angoisse du doute a disparu. » Cela signifie que seulement l’expérience de l’angoisse comme expérience de la perte d’un ancien image de Dieu qu’on a considéré comme déterminant et immuable et d’un ancien image de l’homme et du monde, libère, ce qu’appelle Tillich, le «courage d’être ». Le vraie Dieu – divin – apparaît, en quelque sorte, dans le coeur de l’angoisse, et lui seul provoque une libération ou le passage de l’angoisse. Cette expérience conduit l’homme dans l’autre réalité inconnue du monde – et de là vers les horizons plus profonds de l’expérience de l’être. Il se révèle dans le manque présumé d’un visage et d’une histoire du monde comme face de l’Autre.

Donc, il s’agit de descendre dans ces «espaces intérieurs du monde » où se trouvent les angoisses biographiques et collectives et les expériences de la perte, pour y rencontrer le Dieu qui nous sauve. Deux exemples :

Yad Vashem: Ma visite en automne dernier dans le mémorial de la Shoah, je ne l’oublierai jamais : Je suis abasourdi par cette architecture de l’angoisse qui apparaît labyrinthique – jusqu’au «Monument aux enfants », une salle souterraine, où la lumière des bougies allumées est réfléchie par les miroirs. Dans cette sombre salle de voix incorporelles qui appellent constamment les données de vie élémentaires des victimes innocentes, je ressentis une nouvelle, profonde solidarité, oui, une simultanéité en vue de cette angoisse primaire profonde, d’être non seulement éliminé physiquement, mais d’être effacé aussi culturellement. Le témoignage de ce lieu devient pour moi une propre expérience : donner un lieu au nom perdu, préserver une mémoire du nom de Dieu et de ses créatures. Mon commentaire dans le Livre d’Or est une parole du prophète Isaïe, qui exprime aussi bien ma perplexité que l’intuition de la présence imperdable d’un Dieu parternel : « Ne crains rien, car je te rachète, Je t’appellé par ton nom : tu es à moi!  »

Et par rapport aux grands récits européens de la peur, le philosophe et théologien tchèque Tomás Halik décrit une expérience similaire: « Nous construisons pas le projet audacieux de l’unité européenne sur un sol inconnu ou une friche. Nous le construisons sur un sol avec des strates, dans lequels des trésors oubliés et des débris brûlés sont déposés, où des dieux, des héros et des criminels sont enterrés, où des pensées rouillées et des bombes non explosées reposent. Nous avons besoin de nous mettre en chemin de temps en temps et de regarder dans les profondeurs de l’Europe, dans le pègre, comme Orphée a regardé Eurydice ou le Christ Abraham et les patriarches de l’Ancien Testament. »

Pour moi, ces différentes «descentes dans les profondeurs de la peur» convergent dans le récit du baptême de Jésus dans Matthieu : « Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie. »

Il s’agit de descendre avec le Christ pour atteindre le zéro, sur lequel il s’ouvre de façon toute surprenante le ciel. Et ici il se manifeste la loi de la vie de Dieu : «Ce qui vient d’en haut, doit pousser d’en bas. » Ainsi, en Jésus, avec leui et par lui se constitue cette communauté fraternelle, solidaire et pluraliste, dans laquelle l’individu se reconnaît comme «fils et filles de Dieu» et dans laquelle la «dignité humaine» et «l’être à l’image de Dieu» forment une unité inséparable.

Dans ses notes « Résistance et soumission » mises par écrit en détention, Dietrich Bonhoeffer voit le coeur de l’identité chrétienne dans la réponse à la demande de Jésus au moment de son agonie à Gethsémani : «Ne pouvez-vous pas veiller une heure avec moi ? » – C’est le invitation à la veillée aux côtés de Jésus, de sa présence tournée vers le Père dans un monde séculier – soi-disant sans Dieu – et cette présence de Jésus transforme divers lieux dans des espace d’expérience et d’attente de vie trinitaire.

La «peur» apparaît dans ce passage clé de l’Évangile comme un lieu privilégié de l’apprentissage de la foi, où convergent nos craintes confuses et « aveugles », se transforment dans l’authentique et illuminante « crainte de Dieu » de Jésus. Parce que :

  • Dans, avec, par Jésus il se produit la libération et le passe de l’angoisse du Fils vers le Père : Le renoncement présumé du Fils convertit à un don de soi au Père.
  • L’unité grandit comme expérience de la confiance mutuelle dans la sensibilité au mystère de Dieu, de l’altérité de l’autre ; la philosophe juive Simone Weil a trouvé une formulation remarquable pour cette expérience : seulement « le consentement à la distance de l’autre » sans réserve – dit la philosophe française Simone Weil – permet une proximité authentique ; selon Tillich, la réalité complète de Dieu apparaît, après que les images idéologiques de Dieu se sont évanouis.
  • Il s’agit donc de préférer l’inconnu, l’étranger, le marginalisé – comme un « lieu d’apprentissage » de la foi – en, avec, par Jésus.
  • Cela vaut en particulier pour les différents charismes et communautés parmi vous : Lors d’une réunion d' »Ensemble pour l’Europe » en Novembre 2013 à Paris, avec Jean Vanier, fondateur de l »Arche », il nous est apparu clairement : en fait, la tâche des charismes consiste dans l’accueil du «charisme du monde» et de le refléter justement au monde ; son témoignage était très impressionnant : pas vivre principalement avec et pour les « destinataires » des Béatitudes de Jésus, mais à partir eux. Eux, qui sont apparemment les personnes qui reçoivent, sont, en fait ceux qui sont les vrais doué de Dieu, les donateurs. Ils sont les porteurs d’un message, d’une présence de Dieu, qui doit être portée des bords de notre société à son centre. L’Évêque d’Aix-la-Chapelle et philosophe de la religion Klaus Hemmerle a formulé succinctement : «Laisse-moi apprendre chez toi le message que je dois te transmettre. »
  • C’est précisément cette volonté d’apprendre qui rend les charismes «des intermédiaires disparraissants  » (E. Balibar), des acteurs prophétiques dans nos sociétés ; ils ont surmonté leurs propres craintes de perte et savent désormais créer un espace de la rencontre entre des groupes hostiles, antagonistes ; ils maîtrisent patiemment « la négociation mutuelle du milieu brisé » (de M.Barnes), c’est à dire la « négociation » créative ou le « dégagement » d’un « centre » indéfini, dans laquelle les opposés sont libéré pour la réciprocité.
  • Cependant, cela présuppose l’expérience constante d’une libération de de l’angoisse : la disponibilité dont est fait « Ensemble pour l’Europe » avec la plénitude de ses traditions, de ses horizonts d’expériences et de ses histoires : descendre en, avec, par Jésus dans les abîmes, les histoires des autres avec leur réalité indisponible, qui toutefois veulent trouver un écho, une résonance dans la propre vie de chacun, dans la propre, spécifique tradition, foi et histoire de Dieu – et justement par cela les libérer à elles-mêmes.

Ainsi, il pourrait avoir besoin d’une « inversion de poussée », d’une véritable metánoia des «pieux», dans la compréhension d’eux-mêmes et du monde, d’une nouvelle foi dans l’amour de Dieu pour le monde, révélé dans le Christ.

Une « conversion » – ou un déplacement de l’accent – du rejet anxieux du «monde» vers une vue, libérée de l’angoisse, sur la réalité de Dieu dans ce monde ; une réalité, qui doit être expérimentée et témoignée d’une façon toute nouvelle : juste à nos frontières. Il convient de surmonter une «herméneutique du soupçon » en vue du «monde» et de grandir de plus en plus dans une «culture de confiance », donc de grandir aussi dans une confiance en Dieu avec un ton laïc, ce qui est fondé en Jésus.

En jetant le regard en haut, sur le dôme du bâtiment du Circus Krone, nous laisse penser, peut-être, aux trapézistes – en tant qu’interprètes de la libération de l’angoisse, toujours dans le risque de la confiance, en lâchant et en s’étirant de nouveau dans l’espace de l’avenir, comme «le sauteur en suspense » (H.Nouwen). Un moment artistique dans l’intervalle prophétique et aussi toujours précaire de « La Pesanteur et la Grâce », comme le dit Simone Weil : cet intervalle dans lequel la créature sait d’être toujours maintenue et soutenue, d’être « racheté » de soi-même et libérée vers l’autre :

« Un sauteur doit sauter, et un receveur doit attraper, et le sauteur doit faire confiance, avec les bras et les mains tendus, que le receveur sera là. … Rappèlle-toi que tu es un enfant bien-aimé de Dieu. Il sera là quand tu fais ton long saut. Ne pas essayer de le saisir. Il te saisira. Étends simplement tes bras et tes mains – et fais confiance, confiance, confiance »! 

Herbert Lauenroth, Centre œcuménique de Ottmaring, à Munich, Circus-Krone-Bau, 01.07.2016

Photo: Trapézistes ©Thierry Bissat (MfG); H. Lauenroth: ©Ursula Haaf

 

Les jeunes aiment la concrétisation

Les jeunes aiment la concrétisation

L’Europe a-t-elle de l’avenir? Quelle contribution voyez-vous, par exemple, pour les Eglises et les mouvements et communautés chrétiens?

Bien sûr, l’Europe a un avenir! Et les communautés et les Eglises jouent un rôle à la fois individuel mais aussi ensemble, avec le renforcement de la sphère civile. Cette sphère civile qui, avec le temps, fera naître des nouveaux dirigeants politiques, entre temps renforcer et développer l’engagement civique. « Le plus grand problème est causé par ces millions de personnes qui veulent simplement ‘survivre’ » . Ces communautés jouent donc un rôle, car elles apportent une connaissance, exercent et développent leurs propres besoins (par exemple, ordre, liberté, obéissance, responsabilité, égalité, hiérarchie, respect, correction, propriété privée, propriété collective, vérité, etc.)

Le 9 mai ont fait mémoire de la  « Journée de l’Europe » . A quoi vous fais penser cette date ? Comment souhaitez-vous que les Européens fêtent cette date ?

Nous comprenons que cela soit une bonne chose, le choix de la date, ainsi que l’initiative, La question concerne plutôt le « comment ».  On pourrait plutôt penser à une manifestation qui – en plus des conférences interdisciplinaires des différents domaines scientifiques – puisse défier l’ensemble de la société. Pas des manifestations officielles, mais, par exemple, une « manifestation de masse » semblable au projet des capitales de la culture. L’expérience nous fait dire que c’est toujours la politique qui construit les célébrations officielles. Mais ce principe à des fins personnelles éloigne les gens des formulaires officiels.

Si vous étiez président de la Commission européenne (c’est-à-dire, avec un poste en responsabilité et avec des pouvoirs décisionnels), qu’elles seraient les priorités de votre programme pour maintenir et accroître l’union des peuples d’Europe?

En ne voulant pas l’uniformité, viser à la continuité, le renforcement et l’accélération de l’intégration, basée sur la reconnaissance mutuelle de l’identité et de la solidarité. Il est évident que ce système fédéral faible ne fonctionne pas. Nous en avons un exemple aux États-Unis, où même si nous parlons la même langue, mais les formes plus souples sont laissés de côté en faveur de la centralisation. Poursuivre et continuer à élargir les projets internationaux, tels que les ERASMUS, aux chercheurs et aux universitaires, puis, au fil du temps, aussi aux éducateurs et aux enseignants scolaires. Rendre obligatoire une période de six mois à l’étranger pour les étudiants universitaires, quel que soit le sujet d’études. Cours interuniversitaires courts et continus entre pays voisins (par exemple avec des universités d’été).

Comment voyez-vous l’Europe dans le contexte de la politique mondiale aujourd’hui?

Elle fait face à deux défis essentiels. 1. La question de l’unité: si elle ne fait pas l’effort d’être ensemble et de montrer l’unité, elle ne pourra que perdre son poids (voir 2ème question). Deuxièmement : La Corruption: même tout abus, même minime, économique, moral et sexuel, peut porter gravement atteinte à la communauté internationale, qu’il soit commis par un organisme officiel ou par un particulier. Ceci est évitable seulement et avant tout avec un examen continu et unitaire de la conscience (réflexion)

Il semble que les jeunes ne s’intéressent pas tellement à l’avenir de l’Europe. Le voyez- vous, vous aussi comme cela?

Les jeunes aiment ce qui est concret. Les choses insaisissables ne les intéressent pas. Par exemple, le nombre d’étudiants ERASMUS devrait être augmenté et plus d’argent devrait être investi dans des programmes d’études à l’étranger, afin que les jeunes se connaissent mieux. De plus, ils auraient besoin d’objectifs européens concrets dans lesquels ils pourraient croire et ainsi s’enthousiasmer.

Que pensez-vous des tendances populistes? Ne serait-il pas mieux de marcher ENSEMBLE? Mais comment?

Tout d’abord, ils sont la conséquence des dernières crises économiques; et deuxièmement, des conflits armés et des affrontements (par exemple, certaines ingérences étrangères); troisièmement, ils sont causés par le nationalisme, le résultat des différentes réalités déjà évoqué, le nationalisme que l’union représente à peine, tandis qu’au contraire, il est monté par les populistes. Et de plus, les électeurs n’ont pas de relations avec les politiciens européens, mais ils voient et ne connaissent que les leurs, de leur propre nation. Ils sont directement responsables de la manière dont ils transmettent les informations de Bruxelles dans leurs pays respectifs. C’est ainsi le peuple « les croient ». En tout cas, nous devons apprendre à avancer ensemble. comment? voyons les réponses précédentes. La première étape pourrait être le désir d’agir personnellement et ensuite d’assumer une responsabilité collective, reconnaissant son efficacité et son rôle dans son ensemble.

Zsófia Bárány PhD et Szabolcs Somorjai PhD, Hongrie, chercheurs universitaires dans la société, économie de l’âge moderne, politique et histoire de l’Église.

Discussion – Dialogue

Discussion – Dialogue

 

DISCUSSION

 

DIALOGUE

Convaincre l’autre de son propre point de vue Enquêter et apprendre ensemble
Obtenir le consensus de l’autre Partager idées, expériences, sentiments
Sélectionner le meilleur Intégrer les différentes positions
Justifier, défendre ses propres raisons Comprendre à fond les affirmations des parties
Rejeter les raisons de l’autre, une défense de sa position (valeurs, intérêts) Accueillir et comprendre l’autre
Leadership individuelle Leadership collective
Vision broyées Vision intégrale, une synergie d’opinions diverses
Culture hiérarchique et compétitive: dépendance concurrence, exclusion Culture de la coopération, partnership et inclusion
Victoire / défaite Avantage de tous les participants

 

Voir Pal Toth en Nuova Umanità, XXXVII (2015/3) 219, p. 320  

Illustration: Walter Kostner ©

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